Monsieur Fernand le menuisier

Il n'est pas toujours facile à vivre, Monsieur Fernand. Il bougonne, il ronchonne, il dit même des gros mots lorsqu'il se tape sur les doigts, ce qui arrive de plus en plus souvent. Faut dire qu'à son âge il ferait mieux d’arrêter comme dit mon père, mais que voulez-vous : la menuiserie c'est sa passion depuis qu'il est tout jeune. Il ne fait plus de gros meubles comme avant, il a revendu son entreprise mais il a gardé un petit atelier, avec quelques outils, où il se contente de fabriquer des jouets, des maisons de poupée, des petits objets miniatures ou bien encore des marionnettes qu'il donne aux enfants du village lors des fêtes de Noël. Maman dit que c'est notre Gepetto à nous, comme dans le conte de Pinocchio.

Je vais parfois le voir travailler. Il essaie bien de me chasser et de me dire de ne pas "rester dans ses pattes" mais si je ne fais pas trop de bruit, si je me fais toute petite, au bout d'un moment, il oublie ma présence. 

Je vois alors son visage changer. Ses vieilles mains s'arrêtent de trembler lorsqu'elles caressent le bois, avec tendresse. Peut-être ont-elles gardé la mémoire de tous ces meubles qui sont sortis de son atelier et qui doivent encore trôner dans la plupart des maisons du village. Une petite larme coule en permanence au coin de son œil gauche, et il doit de plus en plus souvent se poser sur son banc. Il fait mine de rallumer son vieux mégot, mais je vois bien que c'est parce qu'il est fatigué.

Je m'assoie près de lui et parfois, il ferme un peu les yeux comme si la lumière le brulait et je joue en silence avec l'un ou l'autre des jouets qui trainent dans son atelier. Nous restons comme ça tous les deux sans parler, jusqu'au soir.

Je crois qu'il m'aime bien, au fond, mon oncle Fernand.